Lettre ouverte : Séralini et la science
Independent Science News (Traduction de l’anglais)
Une nouvelle étude du groupe français de Gilles-Eric Séralini décrit les effets nocifs sur les rats d’une diète contenant du maïs transgénique (variété NK603) –avec et sans l’herbicide Roundup –et du Roundup seulement.
L’étude de Séralini et l’attention médiatique qui en résulte font ressortir des difficultés fondamentales qui se posent à la science dans un monde de plus en plus dominé par l’influence des grandes sociétés. Malgré leur importance pour la science, ces questions sont rarement abordées dans les milieux scientifiques.
1) Attaques de longue date contre les études faisant état de risques. 2) Rôle des médias scientifiques 3) Couverture tendancieuse des médias. 4) Responsabilité réglementaire. 5) Science et politique. 6) Conclusion :Pour en savoir plus sur tous ces points :
1) Attaques de longue date contre les études faisant état de risques. Séralini et ses collègues ne sont que les derniers d’une série de chercheurs dont les travaux déclenchèrent des campagnes de harcèlement bien orchestrées. Dans les dernières années, citons seulement Ignacio Chapela, professeur adjoint alors en attente de sa permanence à Berkeley, dont l’étude sur la contamination du maïs par les OGM au Mexique (Quist et Chapela, 2001) souleva une intensive campagne de dénigrement sur Internet. Cette campagne aurait été orchestrée par le Bivings Group, une firme de relations publiques spécialiste du marketing viral – dont les services sont souvent retenus par Monsanto (Delborne, 2008).
La carrière éminente du biochimiste Arpad Pusztaiconnut une fin abrupte quand il voulut rapporter des résultats contradictoires sur les pommes de terre GM (Ewen et Pusztai, 1999a). Consigne du silence, retraite forcée, saisie des données et harcèlement par la British Royal Society–tout fut mis en œuvre pour entraver la poursuite de ses travaux (Ewen et Pusztai, 1999b; Laidlaw, 2003). Récemment, on eut même recours à la violence physique contre Andres Carrasco, professeur d’embryologie moléculaire à l’Université de Buenos Aires, dont la recherche (Paganelli et autres 2010) établissait les risques pour la santé du glyphosate, ingrédient actif du Roundup (Amnesty International, 2010).
Il ne faut donc pas s’étonner qu’en 2009, 26 entomologistes spécialisés dans l’étude du maïs décident de préserver leur anonymat quand ils prirent l’initiative sans précédent d’écrire directement à l’EPA des É.-U.pour se plaindre du contrôle de l’industrie sur l’accès à des cultures GM aux fins de recherche(Pollack, 2009).
2) Rôle des médias scientifiques. Un aspect important, d’ordinaire inaperçu, de cette intimidation est qu’elle se fait souventde concert avec les médias scientifiques (Ermakova, 2007; Heinemann et Traavik, 2007; Latham et Wilson, 2007). Dans leur couverture de l’étude de Séralini, les segments incontestablement les plus prestigieux des médias scientifiques –Science, le New York Times, New Scientist et le Washington Post–omirent tousde faire contrepoids aux critiques de la recherche en citant un tant soit peu ceux qui appuyaient l’étude de Séralini (Carmen, 2012; Enserink, 2012; MacKenzie, 2012; Pollack, 2012). Il semble pourtant que des médias dotés de ressources moindres, comme leUK Daily Mail, aient pu trouver sans difficulté un avis scientifique positif sur la même étude (Poulter, 2012).
3) Couverture tendancieuse des médias. C’est une constante dans le cas des études faisant état de risques : les critiques exprimées dans les médias sont souvent des tactiques de diversion, tendancieuses ou mensongères. Ainsi, on prétend que l’utilisation de méthodologies courantes dénote la piètre qualité scientifique de l’étude de Séralini et autres (2012), sans préciser que l’industrie utilise les mêmes (voir les références ci-dessus et le Science Media Centre, 2012). Ces manœuvre sont apparemment pour but de semer le doute et la confusion chez le non-expert. Tom Sanders,du King’s College à Londres, aurait déclaré : « Cette souche de rats est très sujette aux tumeurs mammaires, notamment dans le cas de nourrissage sans restriction. » (Hirschler et Kelland, 2012). Il s’est gardé d’ajouter, l’ignorant peut-être, que la plupart des études de nourrissage de l’industrie ont été faites sur des rats Sprague-Dawley (dont Hammond et autres, 1996, 2004, 2006; MacKenzie et autres, 2007). Dans ces études et d’autres menées par l’industrie (dont Malley et autres 2007), les rats s’alimentaient à volonté. Les commentaires de Sanders sont importants, parce qu’ils sont largement cités et font partie d’une réaction orchestrée à l’étude de Séralini par le Science Media Centre de la British Royal Institution. Cela fait des années que le Science Media Centre tente d’étouffer la controverse sur les OGM et il compte parmi ses bailleurs de fonds plusieurs fabricants d’OGM et de pesticides.
4) Responsabilité réglementaire. À notre avis, cette controverse est en grande partie imputable aux appareils de réglementation. Des organismes comme l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) en Europe ainsi que l’EPA (Environmental Protection Agency) et la FDA (Food and Drug Administration) aux É.-U. ont avalisé des protocoles prévoyant peu ou pas de moyens de détecter les effets négatifs des OGM (Schubert, 2002; Freese et Schubert, 2004; Pelletier, 2005).
Les OGM sont soumis à peu d’expériences, les études touchent un nombre limité de paramètres et les tests sont menés uniquement par les requérants ou leurs représentants. Qui plus est, les protocoles réglementaires actuels sont simplistes et fondés sur des hypothèses (RSC, 2001), et leur conception même empêche de détecter la plupart des changements d’expression génétique engendrés par le processus d’insertion transgénique – à l’exception de la caractéristique cible (Heinemann et autres, 2011; Schubert, 2002).
C’est pourquoi Puzstai et autres (2001) estime que l’essai de nourrissage bien mené est l’un des meilleurs moyens de détecter des changements aussi imprévisibles. Les essais de nourrissage ne sont pourtant pas obligatoires pour l’homologation réglementaire et on a contesté la crédibilité scientifique des résultats des essais publiés jusqu’ici (Domingo, 2007; Pusztai et autres, 2003; Spiroux de Vendômois et autres, 2009). Ainsi, après avoir évalué la qualité de 12 études à long terme (>96 jours) et 12 études sur plusieurs générations, Snell et autres (2012) conclut : « Les études examinées ici sont souvent associées à un concept expérimental inadéquat qui compromet la justesse de l’analyse statistique… parmi les principales lacunes, citons non seulement la non-utilisation de lignées quasi isogéniques, mais aussi une sous-estimation du coefficient d’efficacité statistique [et] l’absence de répétitions… ».
Les lacunes du concept expérimental et de l’analyse soulevées dans le cas de Séralini n’ont semble-t-il pas inquiété les critiques quand les études ne détectaient pas de risque, offrant ainsi une information tronquée aux décideurs. En somme, c’est un grave problème pour la science et pour la société que les protocoles actuels approuvent les cultures GM en l’absence totale, ou quasi totale, de données utiles pour évaluer leur innocuité.
5) Science et politique. Les gouvernements ont l’habitude d’utiliser la science comme ballon politique. Ainsi, une étude menée par la Société royale du Canada à la demande du gouvernement canadien révéla plusieurs lacunes dans la réglementation sur les OGM au Canada (RSC, 2001). Andree (2006) a expliqué en détail la façon dont le gouvernement canadien n’a pas réagi de façon sérieuse aux nombreux changements recommandés. De même, les décideurs ont résolument ignoré les recommandations du rapport de l’EICASTD, produit par 400 chercheurs sur une période de six ans, selon lesquelles les OGM ne sont pas un moyen adéquat de faire progresser l’agriculture mondiale. Même s’il se targue de fonder ses décisions sur des faits probants, il arrive souvent que l’État utilise la science seulement quand cela l’arrange.
6) Conclusion : Quand ceux ayant intérêt à le faire sèment un doute déraisonnable sur des résultats dérangeants, ou quand des gouvernements choisissent seulement ce qui leur convient dans la preuve scientifique par simple opportunisme politique, ils minent la confiance du public dans les méthodes et institutions scientifiques, en plus de mettre la population en danger. Les tests d’innocuité, la réglementation fondée sur la science et le processus scientifique lui-même exigent que l’on puisse se fier largement à une communauté scientifique vouée à l’intérêt public et animée de la plus grande intégrité professionnelle. Si, au départ, l’évaluation scientifique d’un produit est un processus d’approbation biaisé en faveur du requérant, appuyé par l’élimination systématique du travail de scientifiques indépendants oeuvrant dans l’intérêt public, cela exclut toute possibilité de tenir un débat honnête, raisonné ou scientifique.
Les auteurs : Susan Bardocz (4, rue Arato, Budapest, 1121 Hongrie); Ann Clark (Université de Guelph, à la retraite); Stanley Ewen (histopathologiste consultant, Hôpital universitaire Grampian); Michael Hansen (Consumers Union); Jack Heinemann (Université de Canterbury); Jonathan Latham (Bioscience Resource Project); Arpad Pusztai (4, rue Arato, Budapest, 1121 Hongrie); David Schubert (Salk Institute); Allison Wilson (Bioscience Resource Project)
Signataires : Brian Wynne (professeur en études scientifiques, UK Economic and Social Research Council (ESRC) Centre for Economic and Social Aspects of Genomics, Cesagen, Université de Lancaster); Irina Ermakova (Dre en biologie, Académie des sciences de Russie); Jo Cummins (professeur émérite, Université Western Ontario); Michael Antoniou, (lecteur en génétique moléculaire; la politique de son université [King’s College, Londres]ne l’autorise pas à faire état de cette affiliation ici); Philip L. Bereano (professeur émérite de l’Université de Washington et du Washington Biotechnology Action Council); Dr P. M. Bhargava (ex-directeur et fondateur, Centre for Cellular and Molecular Biology, gouvernement de l’Inde); Carlo Leifert (professeur d’agriculture écologique, Université de Newcastle); Peter Romilly (anciennement de l’Université d’Abertay, Dundee); Robert Vint (FRSA); Dr Brian John (Université Durham, R.-U., à la retraite);C. Vyvyan Howard (professeur, Université de l’Ulster); Diederick Sprangers (Genethics Foundation); Mariam Mayet (African Centre for Biosafety, Afrique du Sud); Eva Novotny (Université de Cambridge, à la retraite); Ineke Buskens (Research for the Future); Hector Valenzuela (professeur, Université d’Hawaii); Ronald Nigh, (Centro de Investigaciones y Estudio Superiores en Antropología Social, Chiapas, Mexique); Marcia Ishii-Eiteman (Ph.D., scientifique principale, Pesticide Action Network North America); Naomi Salmon (département de Droit, Université Aberystwyth, pays de Galles); Michael W. Fox (Minnesota, vétérinaire et bioéthicien, Ph. D., MRCVS); Neil J. Carman (Ph. D. Sierra Club).
Pour ajouter notre nom à cette liste, envoyer un courriel à : isneditor (à) bioscienceresource.org,en notant« Seralini letter » comme objet et préciser toute affiliation qui vous semble pertinente.
Note
(1) En outre, les scientifiques des É.-U. qui publient des études faisant état d’effets négatifs sur l’environnement sont souvent la cible d’attaques véhémentes de leurs collègues favorables aux OGM. Comme le souligne un rapport deNature, qui étudieplusieurs exemples, « Les études suggérant que les cultures biotech risquent de nuire à l’environnement s’attirent les foudres d’autres scientifiques. Derrière ces attaques, on trouve des scientifiques déterminés à ce que les décideurs ne soient pas influencés par des études qui, selon eux, présentent des lacunes sur le plan scientifique. Dès la parution d’une étude problématique à leurs yeux, ils réagissent vivement, critiquent les travaux dans des forums publicset envoient des lettres de réfutation aux décideurs, aux organismes subventionnaires et aux rédacteurs de revues » (p. 27, dansWaltz. 2009a). De fait, quand l’un de nous a écritdans Nature Biotechnology,il y a dix ans, un commentaire suggérant de porter plus d’attention aux effets involontaires éventuels de la mutagenèse insertionnelle, il y eut une vague de réactions, un administrateur du Salk Institute allant jusqu’à affirmer que cela « mettait en péril le financement de son institution » (voir Waltz, 2009a). Des attaques similaires ont accueilli des études sur les effets négatifs des toxines Bt sur les coccinelles et les larves de chrysopes vertes, invoquées par les autorités allemandes pour interdire la culture du Mon810, une variété de maïs Bt (voir Hilbeck et autres 2012a et b, respectivement). En 2009, un groupe de 26 entomologistes du secteur public spécialisés dans l’étude du maïs ont envoyé à l’EPA (Environmental Protection Agency) des É.-U. une lettre déclarant : « Il est impossible de mener une recherche vraiment indépendante de manière légale sur plusieurs questions cruciales relatives à ces cultures [en raison des restrictions imposées par l’entreprise] » (p. 880, dansWaltz, 2009b);on ne s’étonne pas que la lettre ait été envoyée de façon anonyme, les scientifiques redoutant les représailles d’entreprises qui finançaient leurs travaux (Pollack, 2009). Qui plus est, le contrôle exercé par l’industrie sur les recherches que l’on peut mener aux É.-U. lui permet d’éliminer de faitles résultats dérangeants. L’article relate un cas où Pioneer travaillait à la mise au point d’une toxine Bt binaire, la Cry34Ab1/Cry35Ab1, contre la chrysomèle des racines du maïs. En 2001, Pioneer confia à des laboratoires universitairesle mandat de tester ses effets involontaires sur la coccinelle. Les laboratoires établirent que toutes les coccinelles mouraient après huit jours de nourrissage. Pioneer interdit aux chercheurs de publier les données. Deux ans plus tard, Pioneer obtint l’approbation d’une variété de maïs Bt contenant la Cry34Ab1/Cry35Ab1 et soumit des études démontrant que les coccinelles nourries à la toxine pendant seulement sept jours ne subissaient pas d’effet nuisible. Les scientifiques ne furent pas autorisés à refaire l’étude une fois la culture sur le marché (Waltz, 2009b). Dans un autre cas, Dow AgroSciences menaça de poursuivre un chercheur en justice s’il publiait l’information qu’il avait reçue de l’EPA des É.-U. L’article rapporte : « L’information portait sur une variété de maïs résistante aux insectes connue sous le nom de TC1507, fabriquée par Dow et Pioneer. Les deux entreprises suspendirent la vente du TC1507 à Porto Rico après avoir découvert en 2006 que la légionnaire bertha avait développé une résistance au produit. Tabashnik put étudier le rapport envoyé par les entreprises à l’EPA à la suite d’une demande en vertu de la Loi d’accès à l’information. « J’ai incité un employé de l’entreprise [Dow] à publier les données et lui ai dit qu’à défaut de quoi, je pourrais les citer moi-même, ajouteTabashnik. Il m’a dit que si je citais l’information… je serais passible de poursuites judiciaires. C’est le genre de déclarations qui vous paralyse. » (p. 882 dans Waltz, 2009b)
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