Zea mays : Le truculent
Yves Gagnon, des Jardins du Grand Portage et président du conseil d’administration de Vigilance OGM, a rédigé le magnifique texte suivant pour la revue Covivia.
Ma parcelle de maïs, malgré sa densité, demeure vigoureuse. Elle exprime sa vitalité par une prodigieuse abondance d’épis. Les tiges dressées et robustes qui portent en alternance de larges feuilles retombantes, sont surplombées à plus de 3 mètres de hauteur par des panicules dorées arborant les étamines pourvoyeuses de pollen. À hauteur des yeux, aux aisselles des feuilles, surgissent de longues enveloppes rougeoyantes coiffées par des soies, les stigmates qui captent le pollen et l’acheminent aux ovules. Une fois ceux-ci fécondés, se forment en rangs bien droits les grains qui se gorgent peu à peu de sucre et se parent de jaune.
Ce sont les rangs en bordure, vu la moindre compétition pour les nutriments et la lumière, qui donnent les premiers maïs. Lorsque les soies ont bruni, on tâte le bout de l’épi qui, lorsqu’il arrondit, indique une maturation optimale. J’en ai récolté quatre, les premiers de l’été, qui m’apparaissaient prometteurs.
La dégustation des premiers maïs demeure le symbole par excellence de la période estivale, de la fécondité de la terre et de la production locale. Diane est à récolter quelques plantes médicinales, car on annonce de la pluie pour cette nuit. Je lui réserverai donc la surprise des premiers maïs. Lorsqu’elle entrera, j’immergerai les épis dans l’eau frémissante.
Une poacée manipulée
Membre de la famille des poacées – jusqu’à tout récemment appelée graminées – le maïs, est d’origine mexicaine. Il serait apparu il y a 7000 ans dans la vallée de Tehuacan au centre du Mexique. La plante d’origine qui produisait un épi de 3 cm a migré sur toute la surface du continent, mis à part les parties les plus méridionales et septentrionales. Jacques Cartier fut le premier à observer du maïs sur les rives du Saint-Laurent où les Iroquoiens le cultivaient en association avec des haricots et des courges. Aujourd’hui, quiconque emprunte l’autoroute 20 ou 40, une route nationale ou un chemin quadrillant la vallée du Saint-Laurent sera surpris de constater l’étendue des champs de maïs, à 85 % transgéniques et gorgés de néonicotinoïdes.
Le maïs est une espèce monoïque, c’est-à-dire que chaque plant produit des fleurs mâles et femelles. Le pollen est transporté par le vent sur des distances aussi grandes que 4 km, ce qui accroit les risques de croisement et de contamination et rend la production et la conservation de semences pures plus difficiles. Déjà en 2001, on observait une contamination des maïs traditionnels mexicains par du maïs transgénique destiné à la consommation humaine. On a repéré la présence de gènes issus de la transgénèse jusque dans l’état reculé d’Oaxca, une contamination rampante qui menace un patrimoine végétal riche de milliers de cultivars, chacun adapté à des conditions locales singulières.
On classe le maïs en 2 principales catégories. Le maïs grain qui est cultivé sur de grandes surfaces dans toutes les zones agricoles nord-américaines ainsi qu’en Amérique latine. La plupart des cultivars contemporains sont issus de la transgénèse. Puis, à plus petite échelle, principalement en Amérique du Nord, on trouve le maïs sucré qui répond à un appétit contagieux pour les épluchettes de blé d’Inde.
Quoique du maïs sucré OGM soit homologué, très peu de cultivateurs en sèment, par peur d’être boudés par les consommateurs et de se voir pointer du doigt pour avoir osé vendre un maïs chimérique. Une réalité que vérifie depuis 5 ans l’organisme Vigilance OGM, dont une équipe a sillonné le Québec cet été dans le cadre du Grand Tour « Exigez l’étiquetage ! », visitant 13 villes et couvrant 8 régions. Les membres de l’équipe ont analysé plus de 50 échantillons de maïs achetés dans divers supermarchés. Les résultats des analyses seront dévoilés à la fin août.
Au préalable, l’organisme a découvert du maïs transgénique dans plusieurs épiceries en 2013, puis uniquement un épi en 2014 et aucun en 2015. Lorsqu’on demande à Thibault Rehn, son coordonnateur, de nous expliquer l’importance de ces analyses, il répond qu’il est : « heureux de constater que les tests ont permis de faire changer les politiques d’approvisionnements des grandes chaînes au Québec. De façon générale, c’est une preuve supplémentaire que la mobilisation citoyenne fonctionne même devant ces géants de l’alimentation ». Dépendant de l’humeur des consommateurs, les grandes chaînes se montrent prudentes, car elles ne veulent pas être accusées de cautionner la manipulation génétique et d’être complices de l’industrie agrochimique. Il faut rappeler que les sondages révèlent que 88 % des citoyens souhaitent l’étiquetage des OGM.
Une plante gourmande
Le maïs compte parmi les plantes les plus voraces qui soient. Il est produit industriellement à grands renforts d’engrais chimiques et de lisiers de porcs. Pour ma part, j’applique une généreuse couche de fumier de volaille composté que j’incorpore superficiellement au sol à l’aide de ma motobêcheuse, puis je sème des graines germées à l’intérieur – après un trempage de 12 heures, on conserve durant 48 heures les grains humides dans un plat couvert d’un tissu, – sur des rangs distants de 75 cm, à tous les 20 cm sur le rang. Un ou deux sarclages sont nécessaires lorsque les plants sont jeunes. Ensuite, la robustesse et la taille des plants préviennent le développement de toute compétition.
Je cultive un maïs hybride depuis 25 ans. C’est le maïs Kandy Corn, disponible chez William Dam. Certains se questionneront peut-être sur la pertinence de cultiver des hybrides, issus d’un croisement et dont on ne peut conserver la semence. Je leur répondrais que bien que je favorise généralement les cultivars traditionnels à pollinisation libre, les croisements modernes, plus particulièrement avec le maïs – on ne parle pas ici de transgénèse qui implique un greffage de gènes, mais d’hybridation créée par un croisement contrôlé – ont permis d’atteindre des standards de qualité qui surpassent de loin ceux des cultivars anciens. Alors que ceux-ci demeureront tendres et sucrés sur une très courte période, les hybrides modernes développent des épis plus longs, généreusement garnis de grains fondants qui conservent leur texture et leur taux de sucre plusieurs jours tant au réfrigérateur que sur le plant. Bien sûr, lorsqu’on oublie de récolter un épi au bon moment, à la récolte suivante, les grains s’amidonnent. Ça donne toutefois d’excellentes soupes, chaudrées ou pâtés chinois.
Bonheur total
Lorsque j’entends Diane ranger ses outils dans le hangar, je jette les épis dans l’eau bouillante. Diane entre et devine à l’odeur que du maïs mijote. Elle m’offre alors son sourire gourmand, celui que je cherche à générer par mon art culinaire.
Après 8 minutes de cuisson, je sors les maïs de l’eau, je les égoutte, y fais fondre un carré de beurre que je répartis uniformément sur les grains. Nous croquons à l’unisson, dévorant les épis de haut en bas, de bas en haut, prenant bien soin de savourer le nectar mielleux qui gicle de chaque grain lorsqu’ils s’abandonnent sous la dent. Saveur ultime, texture parfaite, énergie solaire, maïs truculent.
Noyé dans le beurre des yeux de ma douce, les mots deviennent superflus…